Gaston est né le 11 décembre 1938 à Constantine , en Algérie alors française, au 89 de la rue Louis Biscarat
(actuelle rue Souidani Boudjema)
Le 8 rue Louis Biscarrat
A gauche la maison de Gaston
La famille Ghrenassia vivait au 2ème étage
A droite
L’entrée de la maison
Pendant que je prenais ces photos, deux petits garçons étaient à la fenêtre derrière le volet entrouvert, au deuxième étage, comme ont du l’être le petit Gaston et son frère Jean-Claude au même âge. Nous nous sommes faits des signes de la main pendant tout le temps où je suis restée à photographier et filmer et de grands au revoir à mon départ.
Dans le foyer de Sylvain et Suzanne Ghrenassia, un deuxième petit garçon, Jean Claude, viendra bientôt agrandir le cercle familial
Les deux enfants sont éduqués dans le respect de la religion, de la famille et des différentes cultures qui se côtoient.
Papa Sylvain, après avoir exercé un temps la profession de représentant de commerce puis celle de comptable, devient violoniste professionnel dans l’orchestre de Cheikh Raymond Leyris, grand maître du Malouf.
Suzanne, mère attentive et protectrice, s’occupe de ses enfants et de son foyer.
Une troisième personne comptera énormément pour le petit Gaston : il s’agit de sa grand-mère qui l’entoure de toute sa tendresse et qu’il appelle sa seconde maman.
Le petit Gaston grandit comme tous les enfants de son âge entre l’école Montesquieu et les jeux dans la rue avec les copains, sous le soleil éclatant de Constantine.
L’école Montesquieu
face au 8 rue Louis Biscarrat
Dans le même temps, le petit Gaston est aussi très rapidement confronté à l’insécurité de la guerre.
D’abord celle de 39-45 durant laquelle son papa est mobilisé deux fois.
Pourtant, très tôt, il est obsédé par la musique.
Sylvain, le papa de Gaston, est violoniste dans l’orchestre de Cheikh Raymond, grand maître du Maalouf qui est la forme constantinoise de la musique arabo-andalouse.
Son compagnon de jeux, dès le plus jeune âge, est un vieux violon de son grand père qu’il traine partout derrière lui.
Un peu plus tard, il se fabriquera des guitares avec quelques planches de bois et des élastiques en guise de cordes.
L’atmosphère familiale est baignée des répétitions musicales qui se déroulent à la maison et des concerts que l’on va voir le dimanche.
Mais son plus beau cadeau en la matière, c’est sa grand mère qui le lui fait pour ses 15 ans, lorsqu’elle lui offre sa première guitare qui, immédiatement, lui devient indispensable.
Dans le même temps, Gaston poursuit ses études au collège moderne puis au lycée d’Aumale. Papa Sylvain ne veut pas que son fils devienne musicien et souhaite pour lui une carrière de professeur ou d’ingénieur, métiers qu’il juge plus sérieux.
Le lycée d’Aumale vu depuis le pont Sidi M’Cid
(actuel lycée Reda Houhou)
et L’entrée du lycée d’Aumale
Pourtant, un jour, Gaston se risque à jouer devant ses parents, puis, quelques jours plus tard, devant la foule d’invités lors de la Bar-mitzva de son frère. C’est pour tous une découverte, sauf peut être pour Raymond qui l’encourageait déjà dans ses efforts.
A partir de cet instant, Raymond Leyris prend en main Gaston qui devient « son élève ».
Il le forme, l’instruit, le modèle avec précision et exigence mais avec gentillesse et compréhension.
Il lui enseigne la rigueur, le goût de la perfection, l’humilité.
Assez rapidement, Gaston participe à certains concerts donnés par l’orchestre de Cheikh Raymond.
Pas autant que le souhaiterait pourtant Gaston, car, à cette époque les débits de boisson étaient interdits aux mineurs.
Djessa Errahaou
extrait de l’improvisation du petit Gaston à la guitare
Concert public de malouf à l’université populaire de
Constantine en 1954. Gaston avait donc alors 16 ans
Au début de l’improvisation, on peut entendre Raymond dire à Gaston :
« Ah !!! m’nine a khouya », ce qui veut dire « d’où tu sors cela ? » C’est en fait qu’il est satisfait de la prestation du jeune Gaston qui, malgré le trac et peut être grâce au trac, joue si bien »
Alors, parce qu’il a une envie irrésistible et insatiable de jouer, il trouve un subterfuge et se produit, en cachette, aux terrasses des cafés avec une troupe de gitans amis.
C’est auprès d’eux qu’il acquiert le surnom prémonitoire de « petit Enrico ».
Le feu des gitans
Mais les évènements se déchainant et l’insécurité s’installant, ses parents décident de l’envoyer finir ses études secondaires en France, au lycée Carnot (actuel Lycée François 1er) de Fontainebleau. Il y reste trois années.
Les longues périodes d’éloignement sont heureusement entrecoupées par les vacances qui lui permettent de retrouver sa famille mais aussi l’orchestre de Tonton Raymond et Suzy, sa promise, qui n’est autre que la fille de Raymond Leyris.
Il y obtient son baccalauréat en 1959.
Lycée François 1er de Fontainebleau
Après l’obtention de son bac, et de retour au pays, Gaston accepte, pour faire plaisir à son papa, un poste de surveillant. Puis il sera rapidement nommé sur un poste d’instituteur à Chateaudun du Rhumel (actuellement Chelghoum Laid), à 55 kilomètres à l’ouest de Constantine.
Une des écoles de Chateaudun du Rhumel
Les week ends, il rentre dans sa famille, toujours pour jouer avec Tonton Raymond et retrouver Suzy. Quelques fois, il chante aussi ses propres compositions au casino de Constantine (aujourd’hui détruit). Encouragé par ses amis, il se présente à un radio crochet dont il remporte le premier prix.
Parallèlement à ces temps de bonheur, il y a aussi la violence, les attentats, et les sabotages se multiplient.
Au printemps 1961, Sylvain et Raymond décident de partir à Paris pour trouver un éventuel lieu d’accueil pour leurs deux familles.
Début juin, en mal du pays, Raymond Leyris rentre à Constantine. Quelques jours plus tard, le 22 juin 1961, il est assassiné sauvagement dans la rue.
Cet attentat horrible est un véritable drame pour les familles Leyris et Ghrenassia. Pour Gaston, c’est un choc terrible de perdre cet homme qui l’a compris et soutenu et lui a tout appris de sa musique.
Ce lâche assassinat sonne l’heure du départ et Gaston et sa famille embarqueront pour la métropole le 29 juillet 1961. C’est durant la traversée, exprimant sur sa guitare toute sa détresse, qu’il composera « J’ai quitté mon pays, j’ai quitté ma maison ……. ».
Extrait du documentaire « Le chant de la mémoire » d’ Yves Billon
L’arrivée de Gaston avec ses deux familles sur le sol de la Métropole le met vite face à ses responsabilités. Il faut trouver rapidement de quoi subsister. Il est décidé à tenter sa chance dans la chanson et il commence à courir les cabarets pour trouver des engagements.
En septembre, il retourne, seul, à Chateaudun du Rhumel où il occupe toujours son poste d’instituteur. Il revient à Paris pour les vacances de Noël puis en Février 1962 pour épouser enfin la femme de tous ses rêves, sa promise, Suzy.
Il retourne à Chateaudun jusqu’à la fin de l’année scolaire puis, face à l’inéluctabilité des évènements, regagne la Métropole définitivement.
De nouveau à Paris, il prend son courage, sa détermination et sa guitare et reprend sa course de cabarets en cabarets pour décrocher un contrat. Il essuie les sifflements, les huées mais ne se décourage pas malgré toute la tristesse qui l’assaille par moments. Il va aussi chanter dans les restaurants fréquentés par ses compatriotes.
Introduit par son papa chez Pathé Marconi, il enregistre son premier disque sur lequel figure « Adieu mon pays ». Au moment de l’impression de la pochette, on lui demande de trouver un nom de scène un peu plus facile à retenir pour le public. Il se souvient du surnom qu’il avait lorsqu’il chantait avec les gitans à Constantine, « le petit Enrico ». Va pour le prénom ENRICO ! Pour le nom de famille, c’est moins facile. Il pense simplement racourcir son propre patronyme et choisit Nassia. Il appelle donc la maison de disque et laisse le message à la secrétaire, ce sera Enrico Nassia. Y a t’il mauvaise compréhension au téléphone, confusion avec le nom d’un boxeur de l’époque, Rol Raton Macias ??? Lorsque le disque sort enfin, quelle n’est pas la surprise de Gaston de découvrir l’impression:
ENRICO MACIAS
Ce qui est fait, est fait. On ne peut plus rien y changer. Un nouvel artiste est né et 45 ans plus tard on le connait toujours sous ce nom de scène désormais célèbre à travers le monde.
Dans le même temps, Enrico décroche un premier contrat pour passer en fin de soirée dans un cabarat de Pigalle le « Robinson-Moulin-Rouge ».
A ce propos, nous ne pouvons nous empêcher de vous retranscrire une anecdote qu’Enrico raconte dans son livre « Non, je n’ai pas oublié ». Et surement, comme nous, tous les fidèles feront le rapprochement avec des instants que nous vivons dans chacun de ses concerts. C’est le premier passage d’Enrico dans ce cabaret. Il est tard dans la nuit. C’est le temps des « yé-yé », du rock’n roll et les clients ont, entre autres artistes, applaudi Johnny Hallyday au cours de la soirée. Au moment d’entrer en scène, Enrico est très anxieux. Il ne joue pas dans le même registre et sa première chanson est accueillie avec froideur par des spectateurs endormis. En réaction à cet affront, il a l’idée géniale de « baisser le micro, placer sa guitare de face, dans son dos, et d’une main, il attaque l’introduction d’ « Adieu mon pays ». Son public est conquis et une salve d’applaudissements salue la fin de sa chanson. Il a gagné !
Petit Journal Montparnasse – 22 mars 2007
Mais ce n’est pas la fin des galères pour autant. Son contrat terminé au « Robinson-Moulin-Rouge », il continue de courir le cachet à Paris, puis sur la côte d’Azur durant l’été 62. Il se heurte aux radios qui refusent de passer son disque sur les ondes. Fin septembre, il se trouve à Vichy, finissant son contrat dans un petit cabaret, lorsqu’il reçoit un appel téléphonique d’ Igor Barrère qui, préparant un reportage pour « Cinq colonnes à la une » sur le problème des rapatriés, souhaite le filmer durant son tour de chant. La première surprise passée, rendez vous est pris pour le 29 septembre au Palais de la Mutualité à Paris où Enrico participe à un gala de bienfaisance pour les rapatriés.
L’émission passe sur le petit écran le 5 octobre 1962 et est le déclencheur d’un formidable succès, d’une aventure exceptionnelle qui, 45 ans après, dure toujours.
Du jour au lendemain après l’émission « cinq colonnes à la une », Enrico est reconnu partout dans la rue.
50 000 de ses disques sont vendus en quelques jours et les contrats commencent à affluer. Devant ce déferlement inattendu, il décide de prendre un impresario : Vic TALAR
Seule ombre au tableau, les radios refusent toujours de passer ses chansons sur les ondes. Mais heureusement tous les jukes boxes chantent sans relache « Adieu mon pays ». Enrico est engagé à « L’ancienne Belgique » à Bruxelles, puis à l' »ABC » à Paris où il est en supplément au spectacle de Dario Moreno puis d’Amalia Rodriguez.
En janvier 1963, il est à « Bobino » en vedette américaine. C’est là, en sortant de scène, le 10 janvier 1963, qu’il apprend la naissance de son premier enfant : une petite fille prénommée Jocya.
C’est aussi lors de ce tour de chant, qu’il voit un soir arriver dans sa loge deux pieds noirs qui souhaitent lui proposer un texte de chanson. L’un de ces auteurs s’appelle Jacques Demarny avec qui naitra une amitié et une complicité sans faille qui donneront naissance à nombre de « tubes » d’Enrico. L’autre s’appelle Pascal-René Blanc qui écrira aussi beaucoup pour notre chanteur préféré. Le texte proposé n’est autre qu’ « Enfants de tous pays » pour lequel Enrico trouvera rapidement une mélodie et qui donnera naissance au succès planétaire que nous connaissons, hymne à la fraternité, traduit et enregistré dans toutes les langues.
Durant cette année 1963, Enrico est non seulement devenu le chantre des pieds noirs mais aussi le chanteur de l’amitié, de la fraternité. Mais l’intégration ne se fait pas facilement et les contrats restent modestes. Aussi Enrico est il très heureux de décrocher un contrat au Liban où il est accueilli en véritable vedette. Le public de Beyrouth lui fait une ovation tous les soirs, ne maitrisant plus son exubérance lorsqu’il chante en arabe. De retour à Paris, en réponse à la Ligue Arabe qui lui demande de renier ses origines juives pour préserver la suite de sa carrière au Liban, il envoie un refus catégorique accompagné des paroles d' »Enfants de tous pays ». C’est à la suite de cet incident qu’Enrico Macias est interdit dans tous les pays du Moyen orient et ses disques brûlés en place publique.
Durant l’été 1963, Enrico est en tournée sur les routes de France, remportant un vif succès. Puis c’est aussi le triomphe lors d’un musicorama à l’Olympia qui lui permet de décrocher un contrat comme vedette américaine des compagnons de la chanson dans ce music hall exceptionnel pour le printemps 64 et la reconnaissance, enfin, de Lucien Morisse, programmeur d’Europe 1. C’est également en cette fin 1963, qu’il rencontre un autre ami et collaborateur qui va beaucoup compter pour lui en la personne de Jean Claudric, musicien et arrangeur d’exception
En ce début d’année 1964, Enrico part en tournée avec Dalida pour roder son spectacle de l’Olympia. Conscient de l’importance de ce passage en vedette américaine des compagnons de la chanson, Enrico est tétanisé par l’angoisse et le trac. Mais avec ce public venu chercher le soleil et la fête, le succès est immédiat. L’ascension se poursuit pour Enrico et Bruno Coquatrix lui propose de passer en vedette de son Music-hall l’année suivante.
Durant la tournée d’été, son passage dans les villes où sont installées d’importantes colonies de rapatriés provoque l’attroupement d’une foule d’admirateurs qui sollicitent des autographes, posent des questions, témoignent leur amitié à notre chanteur. C’est un soir de cette tournée que se présente Martial Ayela, musicien et chef d’orchestre célèbre en Algérie. Pianiste, guitariste, bassiste, arrangeur, il va devenir un autre grand collaborateur de notre vedette, d’autant plus qu’il s’avère que Martial Ayela est un ami d’enfance de Jacques Demarny.
La fin de cette année est illuminée par la naissance de Corinne, la fille de Jean-Claude, le frère d’Enrico et de Vivianne qui n’est autre que la sœur de Suzy.
Au printemps 1965, c’est donc enfin la consécration pour Enrico avec son nom en lettres de lumière au fronton de l’Olympia. Notre artiste doit se produire dans un programme aux côtés de Robert Castel et Lucette Sahuquet. Avec leur spectacle au nom évocateur « La famille Hernandez », ce duo de pied-noir fait courir tout Paris, au grand plaisir de notre chanteur qui, toutefois, subit une grande pression de la part de quelques rapatriés. Ces derniers considèrent qu’il tourne le dos à ses origines en chantant « Paris, tu m’as pris dans tes bras ».
Le triomphe de cet Olympia est tel que nous le connaissons aujourd’hui, accompagné par le grand orchestre de Jean Claudric et procure à Enrico un grand bonheur qui sera suivi d’un second lorsque son frère devient régisseur de tournées sous l’œil bienveillant d’Eddy Marouani. Ce nouveau travail dissipe les craintes d’Enrico de le voir tenir la direction d’un bar-discothèque à Pigalle.
En Juin de la même année, c’est le début d’une longue tournée qui commence en France puis en Belgique. Après s’être produit dans différentes villes, il fait une halte à Juan-les-Pins après un grand spectacle dans les magnifiques arènes romaines de Fréjus. Au même moment tout près d’Aix en Provence, son frère Jean Claude est au volant d’une Peugeot 404 blanche, heureux d’avoir à ses côtés Serge Lama et sa fiancée Liliane Benelli dans le cadre de la tournée de Marcel Amont. Soudain c’est l’accident, la voiture percute trois platanes. Ce jeudi 12 aout 1965, de cet amas de ferraille, les pompiers sortent trois corps inanimés. Liliane perd la vie sur le coup, Jean Claude mourra 2 jours plus tard à l’hôpital de La Timone de Marseille. Quant à Serge Lama, il en gardera les séquelles toute sa vie. A Juan-les-pins, Enrico rentre à l’hôtel où il apprend la terrible nouvelle. Le choc ne sera apaisé que par le courage de Suzy qui, 4 ans plus tôt, a connu la même douleur après l’assassinat de son père. Malgré son fragile état de santé, elle lui donnera quelques mois plus tard un garçon qui portera le nom de Jean Claude.
Le 7 Décembre 1965, Enrico, Marcel Amont, Pierre Perret, Régine, Sacha Distel, Georges Brassens, Barbara et Jean Jacques Debout organisent à l’Olympia une soirée de soutien à Serge Lama dont la recette s’élève à 3 millions d’anciens francs.
Enrico ne pourra extérioriser la douleur de cette perte qu’en 1970. Sur un texte de Jacques Demarny, il appose une musique tirée du folklore juif et donne naissance à « Mammy ô ma mère ».