Nous avons eu le plaisir, il y a quelques jours, de partager avec vous le regard porté par Nathan Foeller-Claudel sur Enrico Macias.
Aujourd’hui, il revient nous parler des liens particuliers qui unissent Enrico Macias et son grand-oncle, Jean Claudric, à qui il voue aussi, et à juste titre, une grande admiration
Ce texte a été relu et approuvé par Jean Claudric en personne

« Il a le don de servir l’interprète. Excellent musicien, il ne tire pas la couverture à lui… C’est un faiseur d’écrin musical. Quel que soit le bijou, il met un point d’honneur à lui donner de l’éclat, attirant l’oreille dès l’introduction, élaborant des contre-chants dignes d’être des mélodies, soulignant le thème avec tant de finesse que le plus banal des refrains prend un relief inattendu. »

Enrico Macias et Jean Claudric
(Tous droits réservés – archives personnelles Nathan Foeller-Claudel)

A travers ce passage de son livre « Non, je n’ai pas oublié » publié en 1982, Enrico Macias parle évidemment de Jean Claudric, son grand chef d’orchestre, arrangeur, orchestrateur et compositeur. Si Cheikh Raymond lui a donné une formation de musique arabo-andalouse, Jean Claudric est son « maître » en matière de musique de variétés, comme il le dit lui-même.
Aux guitares et aux mandolines de ses débuts, Claudric ajoute des violons et un accordéon. Dans ses arrangements, on appréciera d’ailleurs particulièrement le traitement des cordes, mais aussi la grande finesse des combinaisons entre les divers instruments de l’orchestre, les chœurs qui jaillissent d’un seul coup de façon inattendue… Il encourage Enrico à composer des valses et des marches pour qu’il ne se sente pas prisonnier de ses racines méditerranéennes tout en l’initiant à la musique dite « occidentale » et à l’harmonie.
Leur relation, leur histoire, leur collaboration sont incomparables, c’est une véritable symbiose. Enrico se souviendra dans « l’Envers du ciel bleu » (2015) de leur façon si naturelle de travailler ensemble avec son parolier le plus prolifique Jacques Demarny :

« On s’installe à la maison, Claudric au piano, Demarny dans le canapé et moi à la guitare.
Je propose une mélodie, Claudric improvise des harmonies, qui vont donner les couleurs de l’arrangement, et je choisis parmi ses propositions. Et puis la chanson vient toute seule. »

Les séances de travail se passaient dans une atmosphère détendue, dans la salle de musique d’Enrico, boulevard de Courcelles les premières années. « Tous les trois, nous faisions une équipe fantastique ! » se rappelle Macias.
Pied-noir né à Alger le 13 septembre 1930, de son vrai nom Jean-Claude Bacri, Claudric deviendra après des débuts de pianiste de jazz, le plus grand arrangeur de la chanson Française durant la seconde moitié du XXème siècle. Il « monte » à Paris en 1955 et est associé à des artistes comme Maurice Chevalier, Joséphine Baker, Pierre Perret (Le Tord-boyaux, Les Jolies Colonies de vacances), Sheila (il l’accompagne à ses débuts et durant quelques années sous le pseudonyme de Sam Clayton), Mireille Mathieu, Charles Aznavour et des centaines d’autres. Il a également dirigé les orchestres de nombreuses émissions télévisées de Maritie et Gilbert Carpentier ou de Michel Drucker. Il enregistra aussi deux volumes du Monde Symphonique de Michel Sardou et Jacques Revaux : il obtint un disque d’or pour le premier en 1976 et dirigea le London Symphony Orchestra l’année suivante pour le second. Enfin, en 2004, Claudric a constitué un big band considéré comme un des meilleurs d’Europe. Mais il est quasiment impossible de résumer ainsi une carrière d’une telle dimension…

Il est à noter que Jean Claudric est le frère de Roland Bacri, le célèbre « petit poète » du Canard enchaîné qui maniait si bien le pataouète ; le père du grand compositeur contemporain Nicolas Bacri ; et le neveu de Marcel Daxely, célèbre comédien de la « bande à Pagnol » et pensionnaire de l’Alcazar de Marseille.

C’est lors d’un enregistrement pour un disque de Maya Casabianca qu’ils se rencontrent pour la première fois en 1962. Cette chanteuse décide de faire une reprise d’ »Adieu mon pays« . Le producteur Roland Berger souhaitant que l’introduction de guitare de la version originale soit conservée, fait donc venir Enrico Macias au studio pour qu’il la joue lui-même. Celui-ci est tellement impressionné par le travail de Jean Claudric qu’il insista auprès du directeur de la firme Pathé-Marconi pour qu’il devienne l’arrangeur de son prochain disque, disant qu’il était le seul à pouvoir écrire ses scores. La première chanson que Claudric dirigea fut « Paris tu m’as pris dans tes bras« . Il prendra ainsi la suite d’Anne Huruguen.

Jean compose avec lui en le guidant, il sera véritablement un « ange gardien » et apportera un enrichissement essentiel à son répertoire. A force de ténacité, il réussira par exemple à convaincre Enrico de chanter « Les filles de mon pays« , qu’ils ont composé ensemble, ce qu’il a refusé pendant un an, ayant peur de se ridiculiser avec les « lai lai lai ». On voit ainsi le génie de Jean Claudric.
Ensemble, ils enchainent les disques, les émissions de télévision et les Olympia. Ils se sont produits également au Carnegie Hall de New York, au Albert Hall de Londres, à Tokyo quatre années de suite…

Jean Claudric et Enrico Macias – Centre Rachi – 2016

Il est fabuleux de percevoir l’évolution des arrangements à travers les différents Olympia au fil des années. Claudric garde une base, mais ajoute à chaque fois une « touche » subtile supplémentaire pour apporter une nouveauté aux anciens titres. Ainsi, Jean a su traverser le temps en se nourrissant de ce qui se faisait à l’époque. Selon Jean-Claude Ghrenassia, « il y a un peu de Phil Spector dans les chansons des années 60»

Soulignons que Jean Claudric n’a pas seulement été arrangeur de centaines de titres pour Enrico Macias, ils ont composé une bonne quarantaine de morceaux à quatre mains, et non des moindres. Outre « Les gens du Nord » et « Les filles de mon pays« , on peut citer sans souci de la chronologie : « Aïe, aïe, aïe je t’aime« , « Je le vois sur ton visage« , « Les yeux de l’amour« , « Dix ans déjà« , « C’est notre anniversaire« , « La vie dans la vie« , « Je t’aimerai pour deux« , « J’ai pleuré de joie« , « Où est donc la vérité« , « Aux quatre coins du monde« , « Quand on est amoureux« , « Dis-moi ce qui ne va pas« , « La lavande« , « La folle espérance« , « Je porte bonheur« , « La musique et moi« , « C’est ça l’amour« , etc…

Bien sûr, nous nous devons de mentionner Martial Ayela, qui accompagnait Enrico lors de ses tournées en province, on pourrait d’ailleurs évoquer d’autres arrangeurs qui ont œuvré auprès de lui de manière assez épisodique – comme Benoît Kaufmann, Hervé Roy, Roger Loubet – mais c’est bien Jean Claudric qui occupe une place prépondérante dans la vie d’Enrico Macias étant son compagnon de route privé. Au-delà de la sphère professionnelle et même de l’amitié, il y un vrai lien encore plus profond qui les unit, ils sont des « membres de la famille » l’un pour l’autre, des « frères ». Jean Claudric se souvient « d’heures extraordinaires passées chez Enrico avec [s]on épouse Huguette, devant un couscous préparé au dernier moment par Suzy, femme d’Enrico. »
Et à Jean d’ajouter : « On a tout vécu ensemble : des moments de joie, ponctués de rires, de larmes de bonheur, traversant des périodes où le trac cohabitait avec le doute, l’angoisse mais toujours fier et heureux du succès grandissant. » Quant à lui, Enrico est toujours présent dans les rassemblements familiaux et les mariages chez les Bacri…

De gauche à droite :
Jean Claudric, Huguette Claudric, son épouse, Enrico Macias et Suzy
(archives personnelles Nathan Foeller-Claudel

Depuis ces dernières années, c’est Jean-Claude Ghrenassia – fils d’Enrico – qui a remplacé Jean Claudric. Il raconte lui-même : « Jean Claudric est une de mes plus grandes influences, si je fais de la musique aujourd’hui, c’est à cause de lui ! J’ai passé beaucoup de temps à étudier la musique avec ses scores d’orchestre ! Je fais mes propres arrangements en regardant le travail du Maître, mais je ne peux pas me comparer, c’est incomparable ! »
Aux sujet des nouvelles orchestrations qu’il écrit actuellement pour les concerts de son père, il m’a dit : « Certains titres ont été réarrangés, mais Jean-Claude reste notre référence, surtout pour les classiques. »

Nous n’insisterons jamais assez sur le rôle capital de l’arrangeur dans la naissance d’une chanson.
Selon l’article 68 du règlement général de la Sacem, « constitue un arrangement la transformation d’une œuvre musicale avec ou sans paroles par l’adjonction d’un apport musical de création intellectuelle », ce qui met bien en évidence la place de choix que l’imagination tient dans ce métier. L’arrangeur commence par harmoniser la mélodie pour lui adjoindre un soutien. Ensuite, il doit écrire une introduction pour définir l’ambiance de la chanson, et trouver des contre-chants (lignes mélodiques qui accompagnent, sur les mêmes harmonies, l’exécution du thème principal), ainsi que des réponses entre les différents instruments, un gimmick (signature musicale répétitive pour provoquer un effet marquant)… Quant à l’orchestration, c’est l’art de répartir les notes à jouer pour les différents instruments de l’orchestre – selon le son attendu -, et pour chacun des musiciens. Bref, le but de l’arrangeur-orchestrateur est de taille : mettre en valeur la chanson et l’interprète, pour cela il peut aussi s’appuyer sur des chœurs. Tous les professionnels de la musique s’accordent à dire que, sans un bon arrangement, on peut passer à côté du succès, c’est dire son importance !

Avec ses instrumentaux – parmi lesquelles les introductions « Soleil« , « Taïna« , « Sarabande » ou « la Sortie Espagnole » – qui ouvrent et mettent souvent fin aux spectacles à l’Olympia, Jean Claudric a le génie de plonger instantanément le public dans l’ambiance du spectacle en donnant une couleur à celui-ci (music-hall, disco, orientale…).
Il a arrangé également à plusieurs reprises des œuvres traditionnelles du folklore parfois inscrites au domaine public et conçu – tel un grand couturier – des solos de guitare sur mesure pour Enrico d’après des partitions préexistantes, comme pour l’Asturias d’Albeniz. Jean est aussi l’auteur avec Martial Ayela d’un fameux « Prélude« .
Parfois, il accompagne Enrico seulement au piano, comme en témoigne la version épurée et mémorable de « La tolérance« .
Claudric a accompli un tour de force : il a réussi à donner une véritable authenticité aux chansons d’Enrico grâce à un son inimitable !

Jean Claudric explique avec émotion : « Mon histoire avec Enrico est tout à fait exceptionnelle. Ce n’était pas un artiste qui m’appelait pour que je fasse les arrangements de son disque, nous avons fait une création totale. C’est même une seconde naissance. Il est né avec moi, et moi, je suis né avec lui ! »
Toujours fidèle et reconnaissant, Enrico l’invite chaque année à la première de son nouveau spectacle pour le mettre à l’honneur en le faisant monter sur scène. En 2020, il lui offre aussi une courte préface pour son recueil de souvenirs et d’anecdotes « Un Pied-noir à Paris« , dans laquelle il utilise une anaphore, comme une allusion à un célèbre titre de son répertoire :

Enrico Macias et Jean Claudric – Olympia 2019

« Que de souvenirs avec Jean Claudric tant nos vies sont liées.
Non je n’ai pas oublié ses orchestrations magiques qui apportaient la Méditerranée dans des valses parisiennes.
Non je n’ai pas oublié les mélodies que nous composions ensemble en convoquant le soleil dans des ciels gris !
Non je n’ai pas oublié notre complicité et son soutien fraternel lorsque le trac me coupait le souffle avant la scène.
Non je n’ai pas oublié que comme Paris c’est toi Jean Claudric qui m’a pris dans tes bras ! »

Nathan FOELLER-CLAUDEL

Si vous ne l’avez pas lu, ne manquez pas cet autre article :
Enrico Macias dans les yeux de Nathan Foeller-Claudel

Dans le cadre de sa grande tournée à l’occasion de ses 60 ans de carrière, Enrico Macias était ces derniers jours dans le sud de la France, sur les lieux de ses débuts, comme il aime à le rappeler.

D’Avignon à Toulon, en passant par Menton, accompagné de ses fidèles et excellents musiciens, il a semé la joie dans les cœurs et levé les salles pour une fête comme lui seul sait les orchestrer et qui restera gravée dans tous les cœurs pour longtemps.

Contre vents et marées, tel un roc inébranlable dans ses convictions, il continue de chanter sa nostalgie de la terre de son enfance, sa folle espérance en la paix entre tous les peuples, et n’a de cesse d’allumer les lumières de la fête dans les yeux de tous ceux qui passent à portée de son cœur.


Quelle joie de voir une très jeune femme se faufiler, des étoiles plein les yeux, au plus près de la scène pour filmer l’artiste qu’elle rêvait de voir sur scène, de l’entendre pousser un cri de joie aux premières notes d’une chanson qu’elle affectionne particulièrement. Un petit sourire amusé, mais de connivence aussi, on se revoit à son âge et c’est un bonheur à lui seul de la voir faire.  Quel que soit l’âge, Enrico Macias a ce pouvoir magique sur les cœurs.

« C’est un musicien qui sait faire en quelques chansons, l’unité des générations »

C’est le chanteur de la famille

En pleine forme, Enrico a soulevé l’enthousiasme de son public faisant souffler un petit vent annonciateur de l’évènement attendu de tous : les deux concerts de l’Olympia les 18 et 19 mai 2024.
Comme les sportifs préparent les JO, Enrico est en pleine préparation de son passage dans la mythique salle parisienne.
Le répertoire du tour de chant et les arrangements amorcent des contours nouveaux, présageant de deux jours de fête inoubliables. Mais nous ne vous en dirons pas davantage pour garder le suspens et laisser la surprise intacte. Si vous n’avez pas encore votre billet, nous ne pouvons que vous conseiller de vous dépêcher de réserver. Ce sera grandiose.

Avant ce grand rendez-vous, Enrico Macias remonte vers le nord : Clermont Ferrand, Anzin, Le Touquet.
Ne le manquez pas s’il passe près de chez vous

Tournée spéciale avec la participation de Zehava Ben
27.06 (jeudi) – Heichal HaTarbut, Tel Aviv. À 20 h 30
1.07 (lundi) – Centre des Congrès, Haïfa. À 20 h
2.7 (mardi) – Le Centre des arts de la scène, Beer Sheva. À 20 h

Prix des billets : de 199 à 399 NIS (selon l’endroit où vous vous asseyez)
Billets : À la billetterie « Lan » et par téléphone : *8778

Retrouvez le podcast de l’émission en cliquant sur l’image

C’est avec émotion que nous recevons Enrico Macias dans cet épisode. Le célébrissime chanteur de Constantine a, mieux que quiconque, chanté les joies et les peines des séfarades. Nous abordons avec lui des thématiques qui nous sont chères et qui sont centrales dans son œuvre depuis ses débuts.

La Vérité si je mens plus est le podcast consacré aux identités séfarades dans toutes leurs nuances et leur complexité, si possible sans clichés. Elisa Azogui-Burlac et Myriam Levain reçoivent des personnalités juives d’Afrique du Nord qui viennent leur parler de cet héritage si riche et si méconnu.

Une série à retrouver sur le site de RCJ et sur toutes les plateformes d’écoute Deezer, Spotify, Apple Podcast.

Musique

Bambino, Dalida

Oranges amères, Enrico Macias

Enrico Macias en concert, c’est une autre dimension.
C’est aller au-delà de sa musique, de ses chansons.
Enrico, sur scène, c’est d’abord une ambiance, une générosité, un amour palpable et réciproque entre lui et son public. Des chansons qui rassemblent et qui s’offrent comme un message d’espoir et de tolérance.
Durant 1h30, en live, accompagné de ses 7 musiciens, venez chanter ses refrains les plus connus et danser sur ses airs de fête indémodables, et en même temps si personnels
Production : Backstage Event

Pour connaitre les dates de concert, reportez vous à notre page CONCERTS

Il y a deux mois, dans les coulisses du concert d’Enrico Macias à Mons, j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Nathan Foeller Claudel, jeune homme de presque 17 ans, petit neveu de Jean Claudric.
Depuis, nous avons échangé et je suis sure que, comme moi, vous allez être touchés par le regard lumineux qu’il porte sur Enrico Macias, par sa connaissance très pointue du répertoire de l’artiste, et aussi par sa passion pour l’oeuvre de son grand oncle, Jean Claudric.

Enrico Macias, ce n’est pas seulement le Soleil. Bien sûr, il chante cette « mer immense » et ce ciel bleu dont il a aussi montré l’envers… Bien sûr, ses concerts ne sont pas de simples tours de chant : dès qu’il chante en arabe ou en hébreu, un concert d’Enrico devient soudain une fête orientale.

         Reconnaissant, Enrico aime profondément les hommes, il célèbre leur chaleur, comme celle des gens du Nord, qui ont le cœur ensoleillé. Son public le sait : partout dans le monde, il le prend dans ses bras.

         Enrico exprime aussi la relation amoureuse qu’il entretient avec la musique. Un seul principe de vie : chanter en toute circonstance. En ouvrant les yeux au monde, il a d’abord vu le violon de son père qui a toujours fait partie de son paysage. D’ailleurs, bien avant d’avoir sa première guitare, il a fait d’un violon son confident et son compagnon d’enfance.

         Ce serait méconnaître l’étendue de son répertoire que de le réduire aux onomatopées qui ont fait le succès de certaines de ses chansons car Enrico Macias, ce n’est pas seulement des « Laï Laï Laï », des « Oumparere », des « El Porompompero » ou des « Poï Poï Poï ».

         Malgré le succès, 60 ans après son premier Olympia, – le 19 mars 1964 -, il a su rester humble car il le sait, il n’est « qu’un grain de sable posé sur l’univers » avec ses failles, comme nous tous… Lui aussi, a connu des drames personnels, comme la perte de son frère…

                   Animé par un besoin quasi viscéral d’être aimé, il chante, comme personne,  l’amour dont il est le mendiant. Il offre à chaque fois « tous les soleils de l’amitié » à son public qui oublie ainsi les ennuis du quotidien. Et il donne un conseil à la jeunesse : il faut écouter son cœur. Sentimental, toutes ses chansons sont autant de variations sur le thème de l’amour, autant de façons différentes de dire « je t’aime » à Suzy, la femme de sa vie.

         Enrico est rêveur, il veut croire en un monde où la raison du plus fort n’est plus la meilleure et où le Loup et l’Agneau de La Fontaine ne se querellent plus dans le courant d’une onde pure… Pour lui, la chanson est un espace dans lequel on peut s’aimer les uns les autres et où l’on parvient à vivre ensemble, quelle que soit la religion. Il rêve encore d’un voyage, de « ce voyage » retour en Algérie, sa terre natale. Au moment où ce rêve allait devenir réalité, des fous lui ont barré le passage… Dans ces conditions, il est donc impossible de refermer cette blessure de l’âme, alors qu’elle aurait pu peut-être cicatriser…

         Pour célébrer la beauté du monde, il chante les femmes – en premier lieu les « filles de son pays » et leur sens de la famille -, elles peuplent ses chansons et l’on donne à l’une le sobriquet de « Zingarella », tandis que l’autre s’appelle Mélisa. La première est bohémienne – Enrico s’est d’ailleurs toujours senti proche des gitans et des Espagnols  -, elle séduit les garçons par sa danse. Insensible, la seconde passe d’un homme à l’autre… 

         Défenseur des opprimés, il prend toujours le parti des innocents et donc celui des enfants. Instituteur, il avait une pédagogie bien à lui pour encourager ses petits élèves : au lieu de leur distribuer des bons points, il leur interprétait des mélodies à la guitare.

         Enrico n’a jamais eu « la mémoire courte ». Non, il n’a pas oublié l’Algérie de son enfance, qui était française, même si certains préfèrent aujourd’hui l’occulter et réécrire l’Histoire… Il n’a pas oublié non plus les rues parfumées de piments ou « l’odeur des oranges amères »… Avec les chansons d’Enrico, les sens sont toujours en éveil.

Oui, les souvenirs sont là, mais il vit dans le présent en réussissant à prendre de la distance avec son passé. Enrico, c’est un pont et son âme se promène encore entre l’Orient et l’Occident… Par bonheur, il y a la cuisine. Elle est là, patrimoine immatériel, comme pour rappeler un peu chaque jour le pays perdu que les pieds- noirs ont quitté. La tchouktchouka, la soubressade ou le couscous font partie du quotidien, au-delà du cliché, c’est essentiel ! Les chansons d’Enrico sont toutes des cartes postales qu’il envoie implicitement à Constantine, sa ville natale qu’il aime charnellement.

         Enrico est de ceux qui ne capitulent pas : avec lui, la barbarie ne l’emportera pas. Rendre hommage à Sadate était donc pour lui une nécessité. Oui, le président  égyptien était coupable : coupable d’agir pour la réconciliation des peuples – celle-là même que chante Enrico – et d’œuvrer pour la paix, guidant son peuple tel un berger.

Enrico lance toujours inlassablement le même appel aux enfants de tous pays car l’avenir est entre leurs mains : ils s’apprêtent déjà à construire le monde de demain.

Enrico reste optimiste malgré tout et non utopiste comme le prétendraient certains. Son optimisme est en aucun cas de l’aveuglement. Quand il s’adresse aux enfants, il ne leur cache jamais la dureté de l’école de la vie et reste toujours lucide. Il nous dit la triste Vérité, tel un prophète : si la colombe de la paix ne vient plus se poser, c’est bien à cause de nous puisque nous la chassons. Il rappelle aussi le rôle qu’ont les plus grands à l’égard des plus petits : ils les aident à surmonter les épreuves et les obstacles de la vie pour aller toujours plus haut, c’est cela se faire « la courte échelle ». Pour Enrico, seul l’amour est notre moteur et nous ne pouvons nous surpasser qu’en son nom.

Depuis ces dernières années, c’est son fils, Jean-Claude Ghrenassia qui est son orchestrateur. Il a offert à son père la chance de prendre un nouveau virage dans sa carrière. Pour écrire ses arrangements, Jean-Claude a une référence, il est toujours influencé par le travail du « Maître », celui qui lui a donné envie de faire de la musique : Jean Claudric.

Aux guitares et aux mandolines des tout premiers débuts d’Enrico, Jean Claudric a ajouté des violons et un accordéon. Ce grand chef d’orchestre sera son « maître », son « ange gardien », son « ami de toujours », et va l’initier à l’harmonie de la musique dite « occidentale ». Ensemble, ils ont composé des mélodies magiques et ont ainsi créé un univers à part entière. Leur histoire est incomparable tant leur vie est liée : ils sont devenus de « la famille » l’un pour l’autre.

         Enrico, c’est enfin la verve et la poésie de la Méditerranée. Avec Jacques Demarny, il a réussi un tour de force : avec des mots accessibles et apparemment simples, il est l’auteur de textes qui font pleurer. Comme tous les poètes, il véhicule une émotion rare. Mais ce sont des larmes de joie, face au bonheur qu’il nous donne. Et dans les moments fous que nous vivons à notre époque, il nous reste la « folle espérance ».

         Grâce à Enrico, la poésie de la Méditerranée est devenue universelle.

NATHAN FOELLER-CLAUDEL
Petit neveu de Jean Claudric

26 février – 2 mars 2024

Article et photos de notre envoyée spéciale et amie Muriel Meimoun
Concert de Brunoy – Dimanche 17 mars 2024

Un bonheur à l’état pur, un homme heureux, un avant-goût du paradis…
Entre vous et moi, je ne savais pas quel titre donner à cet article tant l’émotion me submergeait à l’issu de ce concert.
Pour une fois, je ne vais pas vous parler de la qualité du concert ou des chansons. Cela ne ferait pas 50 ans et quelques 150 concerts que je m’y « colle » si je ne trouvais pas tout cela exceptionnel. Non, aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de ce soleil dont on parle si souvent.
À maintes reprises, nous vous disons que si le soleil n’était pas au rendez-vous à l’extérieur, il l’était dans la salle. Souvent, à l’instar d’hier, il ne l’était pas dehors en arrivant mais on le retrouvait en sortant. À croire que même les cieux s’illuminent après un concert.


La voix d’Enrico, son bonheur sans cesse renouvelé de retrouver son public, sa reconnaissance que celui-ci réponde toujours présent après plus de 60 ans, en toutes circonstances, n’ont d’égal que le bonheur que nous avons, nous, à être là. Notre soleil qui est sur scène, distille ses rayons en chacun de nous et pendant 90 minutes, plus rien ne vient troubler notre joie de nous retrouver.
Puis chacun repart le pas allégé et enivré de ce soleil, même si dès que sonnent les premières notes de El Porompompero se mélangent l’allégresse et le tristesse de la fin du concert. Heureusement pour moi, j’en ai d’autres prévus dans mon agenda.


Alors d’où vient cette magie ? D’où vient cette communion entre un homme et son public ?
De sa sincérité, de son honnêteté, de sa simplicité. Mais cela ne suffit pas à expliquer tout cela. Non, un seul mot peut l’expliquer et ce mot c’est AMOUR. Amour d’un chanteur envers son public disparate, multigénérationnel et multiculturel. Et Amour du public envers un homme qui les accompagne dans leur vie, dans les bons comme dans les mauvais moments depuis 62 ans.
Alors, pour tout cela, je tiens à redire merci à tous ceux qui nous permettent de nous retrouver, que ce soit la production, les musiciens, les techniciens, le personnel de la salle.
Mais avant tout, merci à Enrico, d’être l’homme que vous êtes.