Enrico Macias, une popularité au service de la diversité

Enrico Macias sur la scène de l’Olympia à Paris, février 2019
© Getty Images/Bertrand Rindoff Petroff

Depuis qu’il a fui l’Algérie en 1962, Enrico Macias n’a pas cessé d’élargir son répertoire et son public. Récemment, on l’a vu chanter avec Dadju et Gims au Maroc, jouer dans des films et des séries branchées. À 82 ans, Enrico Macias chantera avec Agnès Jaoui et le clarinettiste Yom le 20 novembre pour un concert spécial à Paris.

Il est toujours là. À plus de 80 ans, après avoir vendu plus de 50 millions de disques et rempli des Olympia, il chante encore avec la même étincelle dans les yeux. Ses doigts sont toujours aussi agiles sur sa guitare Favino.

Malgré les soubresauts du showbiz et des modes, malgré les accidents de la vie et l’arrivée d’internet, Enrico Macias est un des rares héros des années 60 et 70 à se produire encore sur scène avec autant de succès. Et surtout, il a su se réinventer avec authenticité, en musique comme à l’écran où désormais il joue avec humour son propre rôle dans la série Family Business (Netflix).

« J’ai beaucoup de chance, même si je travaille bien sûr ! sourit Enrico. C’est vrai que je pourrais devenir un vieux crouton, mais je crois que si ça marche encore c’est parce que j’ai toujours été sincère. Je n’ai pas menti ni dans ma musique, ni dans mes chansons. Même dans le désert, je serais capable de jouer, mais j’ai la chance que le public me porte ! » Et ce public ne cesse de s’élargir et étrangement même de rajeunir…

Rassembler les communautés

« Organiser un concert d’Enrico Macias, c’est une joie et un honneur, car c’est un artiste qui sait rassembler les communautés et les générations. Enrico dure, car il a beaucoup d’humour et de recul sur lui-même. Il se renouvelle. Il n’a pas peur de jouer avec des artistes comme IdirCheb Mami, SoCalled, Gims ou Thomas Dutronc«  s’enthousiasme Laurence Haziza, directrice de programme chez JEM, Judaïsme en Mouvement, un mouvement progressiste impliqué dans le dialogue interreligieux et interculturel, qui organise un concert pour le patriarche le 20 novembre à Paris.

Enrico Macias va chanter dans une synagogue avec son orchestre, composé de musiciens algériens pour la plupart d’origine musulmane, et des invités de marque, dont Agnès Jaoui. « J’ai grandi avec la musique d’Enrico, raconte l’actrice et chanteuse. Mes tantes étaient tellement heureuses de le voir passer à la télé ! Elles sont nées en Tunisie et pas en Algérie comme Enrico, mais le voir tant aimé des Français leur donnait l’impression d’être elles-mêmes mieux acceptées ici. »

Dans la France troublée des années 60, ses succès comme l’Oriental, Adieu mon pays, ou Paris, tu m’as pris dans tes bras ont fait d’Enrico un chanteur à part, qui symbolise à la fois l’exil et la nostalgie, mais aussi la joie et l’espoir d’une vie meilleure, autant de sentiments complexes auxquels tout immigré peut s’identifier. Quand la variété n’était pas encore ouverte aux minorités, il chantait déjà « Je suis un Français créole qui devient un étranger parisien« …

« Aujourd’hui, de jeunes musiciens ont un profond respect pour ce que je fais. Ils se reconnaissent dans ma trajectoire. Même un rappeur comme Gims m’a fait des compliments et il a chanté « sapé comme Enrico Macias, « je trouve ça génial ! Qui l’aurait cru après tout ce que j’ai traversé ? » jubile Enrico.

Cette année, il va fêter ses soixante ans de carrière, marquée par des directions musicales très diverses (maalouf, chaâbi, variété, chanson), des textes chantés en français, en arabe, en yiddish, en espagnol, en berbère ou en ladino.

Une légende

« Enrico aurait pu rester dans les musiques traditionnelles orientales, mais il a su faire des chansons populaires, c’est vraiment un chanteur exemplaire, qui prône l’ouverture » souligne Nathalie Serfaty, directrice des programmes de JEM, à l’initiative de l’invitation d’Agnès Jaoui et de Yom à rejoindre Enrico le 20 novembre.

« Même si je ne sais ce qui va se passer, j’ai tout de suite dit oui pour ce concert, explique Agnès Jaoui. Je suis née en 64 avec la musique d’Enrico, puis, j’ai cessé de l’écouter. Son souvenir m’est revenu en allant à Cuba ! Là-bas, le temps s’est arrêté dans les années 60, je me sentais en Afrique du Nord, même si je n’ai jamais vécu en Tunisie où sont nés mes parents. Tout à coup, j’ai compris pourquoi ces musiques cubaines me touchent tant : elles sont issues des musiques arabo-andalousesC’est passionnant de réécouter ce qu’on a aimé des années plus tard...« 

Même si Yom, lui, n’a pas grandi avec la musique d’Enrico Macias puisque dans sa famille, on écoutait plutôt « du free jazz et de l’opéra », le clarinettiste d’origine klezmer sent lui aussi une connexion très intime avec l’univers du chanteur de Constantine, surtout parce que Yom pratique aussi une musique d’ornementation. Il s’agit d’une musique dans laquelle tout ce qui se joue autour de la note principale donne la couleur véritable au morceau et à l’interprétation…

« Il a tellement produit et avec tant d’énergie que ce retour est logique. C’est énorme ! s’enthousiasme Yom. Alors, pour moi ce concert, c’est comme jouer avec une légende. Je me sens bien de son univers parce que je plonge dans les musiques des Balkans où la frontière entre Orient ou en Occident disparaît. »

Macias est à la fois l’héritier d’une riche tradition musicale arabo-andalouse dans laquelle il a grandi et un pionnier qui a su inventer son propre styleIla importé une dose d’orient dans la variété française et notamment des arrangements arabo-andalous de ses débuts de guitariste au sein de l’orchestre de son beau-père, l’immense Cheikh Raymond Leyris, en Algérie. En 1961, « Tonton Raymond » est tué sur le marché de Constantine d’une balle dans la nuque. Commence à s’effondrer alors le règne du maalouf, une musique métissée, à la fois classique et populaire, qui perpétue de chants intemporels en rassemblant des musiciens juifs et musulmans. Ce meurtre va marquer le début de l’exode d’une communauté juive qui avait vécu des siècles sur le sol algérien, et avait enfanté quelques grands maîtres comme Lili Boniche, ou Saoud Medioni dit Saoud l’Oranais… La magie de leur musique qui serre le cœur et ouvre les esprits devraient flotter pendant ce concert du 20 novembre.

Concert Enrico Macias avec Agnès Jaoui et Yom
JEM Copernic 26 rue Copernic 75016

© Laurence Haziza
Enrico Macias et Agnès Jaoui.

Article Elodie Maillotpour RFI musique

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