Enrico Macias tend une passerelle entre les différentes cultures musicales du monde dans son nouvel album.
Photo Serge Guéroult
Enrico Macias, qui sort son nouvel album lundi 7 mars, est en concert ce soir au Pasino d’Aix-en-Provence et demain à Nice
Son nouvel album sera dans les bacs lundi. Mais Enrico Macias le rôde déjà sur scène. Rencontre avec un artiste qui défend sa musique bien sûr, mais aussi des idées, des valeurs, et qui jette un regard sensible sur le vent de liberté soufflant actuellement sur les pays arabes.
Vous semblez avoir puisé dans vos racines autant que dans vos voyages pour ce nouvel album ?
« Si je l’ai intitulé Voyage d’une mélodie, c’est parce que les mélodies voyagent effectivement dans le monde. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai essayé de les attraper. C’est pour ça que j’ai mis des chansons arabo-andalouses, des chansons d’Europe de l’Est, des chansons yiddish, des chansons berbères ce qui est une première pour moi – , de la musique chantée en ladino, qui est le yiddish espagnol…
J’ai voulu faire un tour du monde des cultures pour rendre complémentaires nos différences ».
Comment s’est passé l’enregistrement ?
« Le concept a été très bien travaillé par Socalled et mon fils. Et ils ont tellement bien travaillé que lorsque nous sommes rentrés en studio, le disque a été enregistré à une vitesse record. Et dans le plaisir absolu. J’ai adoré faire ça. Mes musiciens, qui m’accompagnent depuis très longtemps, ont interprété des musiques qui leur étaient étrangères avec beaucoup de facilité, en les intégrant très rapidement. Cela prouve bien qu’il n’y a pas de drapeau, pas de frontières entre les musiques. C’est le seul mode d’expression qui n’a pas besoin de passeport ».
Diriez-vous que la musique est un langage à part entière ?
« J’ai fait une carrière internationale dans des pays où on ne comprenait pas un traître mot de ce que je disais, ce qui n’empêchait pas le public de « kiffer », de prendre du plaisir à écouter mes musiques. Et je soupçonne même qu’il comprenait finalement ce que je disais à travers la musique, en tout cas de quoi je parlais. Et puis, pour moi, la musique est le seul langage qui existe entre l’au-delà et le monde dans lequel on vit. La musique a une dimension tellement spirituelle qu’elle a ce pouvoir. Dans ma culture, la tradition du deuil veut qu’on chante des psaumes, qu’on accompagne l’âme de la personne qui s’en va et qu’on apporte du réconfort à ceux qui restent et qui souffrent ».
Est-ce une dimension qui existe dans ce disque ?
« Il y a une chanson qui s’appelle Ne dis pas. C’est une chanson qui a été écrite dans le ghetto de Vilnius, à l’époque de la Shoah. Dans ce ghetto, il y avait un compositeur qui s’appelait Hirsch Glick qui, pendant que les siens subissaient des blessures et des douleurs indescriptibles, a écrit une chanson pleine d’espérance. Et tout le monde la chantait en choeur. Il n’y a eu aucun survivant dans ce ghetto. Seule la chanson a survécu à travers une partition qu’on a retrouvée. Je tenais absolument à la chanter en français, en mémoire des victimes du ghetto de Vilnius et de toutes les victimes de la Shoah ».
Dans quelle formation allez-vous vous présenter sur scène ?
« Il y aura dix musiciens, dont une section de cuivres klezmer. Et nous jouerons un maximum de chansons de cet album. C’est la première fois de ma vie d’ailleurs que je jouerai autant de chansons d’un nouvel album, qui sera l’ossature de ce spectacle. Mais il y aura aussi les incontournables, des chansons que je chante depuis près de 50 ans maintenant. Prenez Adieu mon pays, c’est la première chanson que j’ai écrite, il y a 49 ans : et bien, je l’ai toujours chantée et je la chante toujours avec la même émotion. Et ce nouvel album, je sens qu’il va très vite intégrer mon tour de chant, pour longtemps ».
Marseille, c’est quoi pour vous ?
« D’abord, ça a été mon premier contact avec la France. Et puis j’ai débuté à Marseille. J’ai été découvert à L’Alcazar, où j’ai été consacré pour la première fois, bien avant l’Olympia. Et puis cette culture me touche, me ressemble. Quand je vais à Marseille, je vois des Arabes, des Juifs, des Grecs, des Arméniens : c’est très cosmopolite, comme New York. Et moi, je suis né pour être cosmopolite ».
Vous qui avez dû quitter l’Algérie, quel regard portez-vous sur ce qui se passe en ce moment de l’autre côté de la Méditerranée ?
« Ceux qui étaient à la tête de ces pays qui se révoltent aujourd’hui ont oublié qu’ils étaient là pour le peuple. Et voir le peuple se lever comme aujourd’hui, c’est une belle surprise : je ne pensais pas que ça pouvait arriver, parce qu’ils vivaient sous des régimes très durs. Et c’est sans doute une mauvaise surprise pour tous les extrémistes, les fondamentalistes, qui pensaient qu’ils allaient pouvoir continuer à manipuler les peuples en jouant sur ses peurs.
Concert ce soir au Pasino à Aix. Album « Voyage d’une mélodie », Universal Music, dans les bacs ce lundi.