Revoir Sidi Mabrouk et mourir

Chanteur à succès, aimé sur les deux rives de la Méditerranée, Enrico Macias rêve de retourner sur les traces de son enfance et chanter en Algérie. En attendant de pouvoir le faire, c’est sur France 5 qu’il livre ses confessions intimes.

Paris. De notre correspondant   Jeudi dernier, dans l’auditorium comble de la SACEM, à Neuilly, était projeté en avant-première le documentaire du magazine Empreintes de France 5, consacré à la star des pieds-noirs, Enrico Macias, 74 ans, 50 ans de carrière et 50 millions d’albums vendus dans le monde. Ah ! Qu’elles sont jolies les chansons d’Enrico ! Elles ponctuent l’émission, intitulée justement «Une vie en chansons», programmée pour vendredi 18 janvier et rediffusée le 20 janvier. A la SACEM (organisme protégeant les droits d’auteur des artistes français), on se serait cru à un de ces mariages où les proches des mariés  projettent un film de leur vie concocté en douce, retraçant leur parcours jusqu’à ce jour de noces, faisant rire et pleurer l’ensemble des convives. C’était un peu pareil : Enrico, au cinquième rang, n’avait pas vu le film réalisé par Antoine Casubolo-Ferro. Il se murmurait déjà  que c’était l’une des plus «belles empreintes» de la collection.

Tout autour, avaient pris place sa famille, sa fille qui fêtait ce soir-là ses cinquante ans, son fils Jean-Claude, musicien lui aussi, mais qui a préféré la contrebasse à la guitare ou au mandole, «par amour du jazz», des petits-enfants, des proches et des fans de toujours, Manou Roblin,  la veuve de Jacques Demarny, parolier historique d’Enrico Macias, avec Pascal-René Blanc, que le chanteur cite beaucoup dans le sujet. Claude Lemesle, président d’honneur de la SACEM, eut ces mots qui précédèrent la projection, sans savoir qu’ils résumeraient si bien la construction même du sujet. S’adressant à Enrico Macias : «Tu es une empreinte musicale. Tes chansons te ressemblent et nous pénètrent. Une empreinte vocale. Il suffit d’écouter la radio pour savoir que c’est rare. Tu as donné tes chansons au peuple. D’abord, les rapatriés, puis pour toute la France. Et tu as étendu cette trace de façon internationale.» Réponse du musicien : «La SACEM est la première maison qui m’a accueilli à mon arrivée d’Algérie et où je me suis senti protégé.»

«La musique, c’est mon médicament»

Enrico n’a jamais pu y retourner depuis le départ précipité en 1962. Alors, forcément, toujours ce soir-là à la SACEM, les derniers mots du réalisateur, Antoine Casubolo-Ferro, ont eu un écho particulier : «En 1963, j’avais 16 ans. Je croyais que la chanson J’ai quitté mon pays était pour ma maman qui venait de quitter la Tunisie.» On comprit aussitôt que ce film avait constitué pour lui aussi une œuvre intime, où Enrico Macias, né Gaston Ghrenassia, à Constantine, le 11 décembre 1938, parlait à travers lui de l’histoire de tout un pan de la population française. La force du sujet est de nous faire rire. Il y a de la mélancolie, forcément de la nostalgie, mais aussi beaucoup de légèreté grâce à la faconde de l’artiste et cette musique contagieuse qu’il a le don de jouer, le malouf, répertoire arabo-andalou de Constantine. «La musique, c’est mon médicament», dit celui qui fut révélé par l’émission Cinq colonnes à la Une en chantant Adieu mon pays. Ses pérégrinations chromatiques révèlent les états d’âme, les convictions de celui qui veut être avant tout le chanteur de la fête. Les gens du Nord, Les filles de mon pays, Le Mendiant de l’amour, mais aussi Un berger vient de tomber, écrite quand le président égyptien, Anouar El Sadate, a été assassiné, et enfin Le voyage, titre phare de son album Oranges amères, chanté en 2008, après que les islamistes lui aient interdit d’aller en Algérie où le président Bouteflika l’avait pourtant officiellement invité.

Yacine Farah

Article paru le mardi 15 janvier 2013 sur El WATAN : http://www.elwatan.com/hebdo/france/revoir-sidi-mabrouk-et-mourir-15-01-2013-199529_155.php

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