ENTRE L'ORIENT ET L'OCCIDENT
Les grandes écoles

 

En 1492 donc, les rois catholiques (Ferdinand II et Isabelle de Castille) achèvent la reconquête de l'Espagne en chassant le dernier souverain musulman Bouabdil. Son départ met fin à la présence des juifs et des arabes dans la péninsule Ibérique les obligeant à trouver refuge dans le Maghreb où ils s'installent avec les fruits de huit siècles de culture très riche, caractérisée entre autre, par la diversité d'une musique

Trois principaux pôles musicaux andalous ont été le berceau de cette musique. Aujourd'hui, les pays du Maghreb s'identifient clairement comme étant les héritiers directs de ces pôles historiques.
Fès et Tlemcen d'abord, furent les deux premières cités à recueillir, dès la fin du 15ème siècle après la chute de Cortoba (Cordoue), le premier flux d'immigrés qu'elles partagèrent avec leur satellite : Tétouan, Oran, Nedroma et Mostaganem. C'est là qu'est née la première école dite HAOUZI ou

GHARNATI (Haouzi vient du verbe arabe "yahouz" qui se traduit par le verbe "isoler" et qui signifie ici "Tlemcen extra muros" parce que ces exilés ne pouvaient pas s'installer directement dans les cités. Gharnati veut dire "de Grenade", Grenade qui se prononce en arabe "gharnata").

Boabdil se rendant à Ferdinand et Isabelle (Tableau de Francisco Pradilla y Ortiz)


Puis ce fut le tour d'Alger, Koléa, Blida et Béjaia où a été fondée une deuxième école qui est, tout comme la première, issue de la tradition Arabo-Andalouse mère. Cette école est appelée SANAA (qui signifie "métier ou encore artisanat") ou CHAABI (qui veut dire "musique populaire"). C'est enfin à Constantine, Annaba et Tunis que vinrent mourir les dernières vagues du reflux, chargées des derniers messagers. Et c'est à Constantine que l'on revendique ce contact le plus direct avec cette tradition musicale dont la capitale spirituelle de l'Algérie, retranchée sur le rocher dans l'arrière pays, cultive la mémoire avec dévotion. C'est en effet à Constantine que les rythmes des "Zoudjours" (troubadours) palpitent avec le plus d'authenticité et c'est à Constantine que se perpétue ce style Arabo-Andalou qui a permis la fondation de la troisième école appelée MAALOUF (qui vient de l'arabe "oulfa" et qui veut dire "la chose à laquelle on s'habitue")
Nous allons, dans ces pages, nous limiter à parler de l'Algérie pour  distinguer les trois écoles nées de l'arrivée massive de ces déracinés et de leurs apports artistiques :

- Le Gharnati de Tlemcen qui a donné naissance au Haouzi
- Le Saana d'Alger qui a donné naissance au Chaabi
- Le Malouf de Constantine

 

LE HAOUZI

 

 
"Istikhbar enhabbek"
Reinette l'oranaise accompagnée au piano par Mustapha Skandrani
Document très rare

 

Le Haouzi est un genre poétique qui est né dans la banlieue de Tlemcen et s'est répandu au sein des populations citadines. En l'absence de documents situant précisément son émergence, on peut affirmer que Said EL MENDASSI a été le premier poète populaire au cours du XVIeme siècle à l'avoir consacré.


Du  point de vue linguistique, le Haouzi se distingue par l'emploi de la langue usuelle populaire de l'époque. C'est une longue poésie qui compte des strophes constituées en refrains (Aqfal) et en couplets (Adouar). Les spécialistes en attribuent avec certitude l'origine socio-historique à la ville de Tlemcen et ses alentours. 
Ses principales variantes sont appelées  M'senaa, Goubahi, Bérouali et Zendali. Les concepteurs de ce genre sont tous d'origine tlemcenienne et ils se sont inspirés du patrimoine arabo-andalou pour y apporter les dernières perfections savantes. Parmi les plus célèbres de ces poètes et musiciens, on peut citer Benmessaieb ou encore Mohammed BENSAHLA


Toutefois, il est nécessaire de signaler que cette dernière école algérienne est appelée aussi Gharnati ( de Grenade ) que côtoyait justement le genre Haouzi et c'est la spécialité de la ville de Tlemcen mais aussi de Rabat et Oujda au Maroc


Cheikha TETMA, El Arbi BENSARI, Reinette L'Oranaise, Séoud l'Oranais, Fadila DZIRIA, Abdelkrim DALI, Sallomon AMZALLAG connu sous le nom de Samy EL MAGHRIBI sont quelques uns des maitres de cette école. Aujourd'hui, le plus illustre des représentants du Haouzi est Nacer Eddine CHAOULI.

 

Le CHAABI

 

 
"Touchia Raml El Maya"
Maurice El Medioni

 

C'est la deuxième école issue de la tradition arabo-andalouse. Elle s'appelle en réalité "Sanaa" qui veut dire: œuvre élaborée.
Pourquoi deux appellations?

A l'aube du XIIème siècle, nait au Maroc le "Melhoun". Il s'agit d'un style poétique développé dans une forme littéraire qui ne respecte pas la structure grammaticale classique de la "Qacidah" (poème chanté). Louanges, exhortations et printaniers (Koum tara ) sont les principaux tableaux dressés et le plus souvent évoqués dans

En Algérie, Cheikh Mustapha NADOR est le maître incontesté de ce style. Il a légué ce savoir à l'un de ses prodigieux élèves en la personne de Cheikh M'hammed El ANKA.  Ce style de musique était d'abord appelé "Medh" (Louanges au prophète et remerciements au Miséricordieux). Puis, en 1947, il est baptisé définitivement "Chaabi" qui vient de "Chaab" et qui veut dire peuple. Il s'agit donc d'une musique populaire. El Anka a gardé la base du verbe ciselé du Melhoun et l'a parfaitement adaptée à l'esprit de la Nouba héritée de la musique arabo-andalouse. Cette musique commence par une "Touchia" ( Bacheraf à Constantine ) en interprétant toutes les suites de la nouba pour finir avec un Insraf. (Voir Nouba ). El Anka est considéré comme le père du chaabi et le créateur de ce genre.

Boudjemaa EL ANKIS, Ammar EZZAHI, Dahmane EL HARRACHI, El Hachemi GUEROUABI sont quelques uns de ces grands artistes du Chaabi. Aujourd'hui, la tradition se perpétue grâce au flambeau passé par les anciens à des noms tout aussi célèbres comme Mehdi TAMACHE, El KOUBI, Abdelkader CHERCHAM......


De nouveaux artistes ont cherché à réaliser un travail de recherche respectable en apportant des touches différentes comme Réda DOUMAZ...


Contrairement à Tlemcen et Constantine qui préfèrent l'Oud, la mandole est l'instrument de prédilection de tous les maitres du Chaabi et comme les deux autres écoles qui n'admettent pas les instruments modernes dans leurs formations, celle-ci a adopté le piano comme seul instrument occidental.

 

LE MALOUF

 


"Bacheraf"
Cheikh Raymond Leyris
Sylvain Ghrenassia

1952
Enregistrement extrêmement rare,
voir introuvable, numérisé à partir d'un 78T
précieusement gardé
par notre spécialiste de la musique arabo-andalouse et évidemment inconditionnel maciasien
UN GRAND MERCI A LUI
 

 

De Omar CHAKBEL à Salim FERGANI, de Raymond LEYRIS à Enrico MACIAS, le Malouf est la troisième école algérienne de la musique arabo-andalouse. A Constantine, elle s'inscrit dans son mysticisme et les chouyoukhs en respectent les règles strictes du canevas traditionnel. Elle s'est enrichie au cours des siècles, a subi les influences locales mais a su rester dans son originalité telle qu'elle a été transmise il y a de cela près de sept siècles. De Constantine jusqu'à Tripoli voir même Istanbul, les juifs et les arabes chassés d'Espagne ont légué à cette région du monde un héritage sans pareil, qui est le fruit d'une grande civilisation et le symbole d'une réelle fraternité.

Les deux grands centres du malouf sont Constantine et Tunis. Hormis quelques artistes tunisiens qui se sont essayé au Malouf comme, Oulaya, Raoul JOURNO, Cheikh EL AFRIT, Saliha, ou encore Maurice MEIMOUN, les plus grands noms de cette tradition sont incontestablement Khmais TERNANE, Tahar GHARSA ( son fils Zied aussi perpétue la tradition ) et Lotfi BOUCHENAK. En Tunisie, le oud et le qanoun sont les instruments phares dans les formations du malouf. L'année 1934 vit la naissance d'un institut de musique tunisienne connu sous le nom de "El Rachidia". Il préserve le patrimoine Arabo-Andalou, organise des festivals et développe l'étude des textes et des chansons. C'est dire que le malouf suscite un grand intérêt et est promu à une longue vie.

On ne peut pas parler de Constantine sans évoquer le malouf. La culture de cette ville est directement liée à des grands noms de cette musique où le oud et le violon alto sont rois. La destinée de Constantine, sa raison d'être et son devenir n'ont qu'un seul nom : Le malouf. Jalousement gardé à travers les siècles et oralement transmis dans les cénacles, ce patrimoine a résisté à toutes les influences étrangères. Il a son style pour se retrouver aujourd'hui entre des mains bien conservatrices qui le prédestinent à un avenir florissant.

Bestandji,
Raymond LEYRIS, Mohammed Tahar FERGANi, Hamdi BENANI et tant d'autres artistes auront légué à leur tour un héritage culturel d'une richesse incomparable. Enfin, il est à signaler que Kaddour DARSOUNI a publié un ouvrage sur le malouf. A lire absolument.


Quelques sites pour aller plus loin

http://www.bahdja.com/chaabi.html

http://chaabi.chez-alice.fr/page1.html

http://www.music.art.dz/entree.htm

http://diapasondeskikda.blogspot.com

 

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13.05.2012 20:20